mardi 19 février 2008

Les évolutions de la photographie : histoire culturelle de l'Afrique.

La période de l'après seconde guerre marque le début de la démocratisation de la photographie au sein de la population locale urbaine qui participe à sa diffusion dans les zones rurales. Très rapidement, la photographie va devenir un marqueur identitaire au sein de la population. Avec les indépendances, le rôle de la photographie va s'accentuer dans les sociétés urbaines pour devenir véritable moyen de représentation de soi. Son caractère réaliste est réapproprié par les nouveaux pouvoirs politiques qui en font un véritable outil de propagande. Cependant, en marge de cette photographie officielle, une vague de photographes prend conscience de l'intérêt de la photographie en tant que véritable outil de création artistique.

Les portraitistes vont être les premiers à faciliter la diffusion de la photographie au sein des couches populaires africaines. Les studiotistes tel que Mama Casset (Sénégal), S. Keïta (Mali) vont proposer des décors minimalistes. Tous ces photographes, de la première génération, tentent de se démarquer dans leur pratique par l'innovation dans la prise de vue : S. Keïta et la prise de vue de biais, M. Casset instaure une pose caractéristique appelée femme au libidor . Elle servira de modèle aux peintres sous verre. Ou encore Malick Sidibé et ses portraits de dos.L'atelier du photographe ouvre à tous les types d'imaginaires. Les populations viennent afficher leur appartenance à une nouvelle forme de société urbaine en pleine expansion. A travers l'acte photographique, il s'agit de s'affirmer au sein du groupe. En même temps, c'est une affirmation de l'individualité qui est aussi revendiquée, car la relation qui s'établit entre les protagonistes (photographiant et photographié) passe par une incitation à l'individualité. La photo d'identité peut être lu comme ce moyen d'individualisation face au groupe. A partir des indépendances, les studios photographiques deviennent des lieux incontournables pour ces populations qui viennent se faire tirer le portrait pour des raisons administratives. La carte d'identité est cette figuration d'une individualité et de l'insertion aux nouvelles sociétés indépendantes. Aussi, le studio peut être considéré comme le lieu qui va favoriser l'évolution des mentalités.

Les années 80 marquent le début du déclin du noir et blanc au profit de la couleur. Ce nouveau procédé séduit car il éveille un profond sentiment de réalisme auprès des populations. Le rôle du photographe dans le processus de mise en scène se trouve en même temps réduit au simple fait d'appuyer sur le déclencheur. Cette forme d'effacement de l'opérateur au profit de l'immédiateté est en relation avec la manière dont l'acte photographique est accompli. Sans cesse à la recherche de nouveaux clients, leur pratique de la photo repose avant tout sur une valeur marchande. Sorties d'administrations ou d'écoles, cafés ou boîtes de nuit, l'espace de la prise de vue s'élargit peu à peu à l'espace publique. Pour le commanditaire de la carte, il s'agit de reconstruire pour la postérité des poses ou des situations parfois imaginées, rêvées ou voire empruntées à des magazines.

Avec les photographes ambulants, on assiste à une popularisation de l'appareil photographique qui devient accessible à tous, à un bon prix, à toute heure et en tout lieu. Qu'elle soit publicitaire, à titre privé ou public, on note donc la disparition des signes révélateurs d'une identité collective particulière avec la standardisation de l'apparence vestimentaire et corporelle. Les citadins sont soumis à des modes qui transcendent les frontières ethniques et laissent entrevoir les nouveaux clivages en rapport avec une hiérarchie sociale. Le monde sensible se trouve remplacé par une série d'images qui deviennent elles même ce monde sensible.

On aurait pu espérer qu'avec les indépendances une photo de presse indépendante s'installe en Afrique. Mais, les agences de presse, hérités de la colonisation, apparaissent très rapidement comme des outils de propagande au service du discours politique officiel. Le désir de témoigner des évènements se trouve ainsi anéanti par l'absence d'une véritable liberté de la presse. Pour les populations, l'illusion de l'image n'invite à aucunes critiques, elle n'est que le reflet de la société en construction. Jugée secondaire et ne servant qu'à illustrer l'écrit, elle n'a pas de véritable autonomie. Les pouvoirs ont compris le rôle primordial que la photo peut jouer dans leur maintien à la tête de l'Etat. Avec un tel système de contrôle et de production de l'image, on peut parler de « dictature de l'image ». Certaines images tirées de l'exposition « les Boyyadjian : photographes arméniens à la cour du Négus », photographes officiels à la cour d'Ethiopie, correspondent à cette réappropriation de la photographie par les pouvoirs politiques africains. L'accession au trône impérial de Haïlé Sélassié, marque une dimension nouvelle dans cette photographie d'Etat. Son couronnement est un évènement médiatique international et l'occasion de nombreuses photos. Circulant en Europe et aux Etats-Unis, ces «tableaux » permettent d'admirer la toute puissance du nouveau monarque. Tous les symboles sont utilisés et mis en valeur : couronne, costumes de cérémonie, coiffure en peau de lion et armes diverses. Cette importance accordée aux signes hiérarchiques, se remarque aussi sur les photographies de groupes de la noblesse. En marge de ces images de propagandes politiques, il existe une photo de presse moins complaisante. Engagée, elle dénonce les réalités politiques et les injustices sociales. La dénonciation de certains aspects de la vie sociale se traduit par l'apparition d'images choc. Prendre une photo revient alors à éveiller les consciences, à être le porte-voix de toutes les injustices. Ce nouveau genre photographique s'établit essentiellement en Afrique australe : Mozambique, Kenya et plus particulièrement en Afrique du sud.

Dans les années 50, la photo se transforme en outil de résistance en réaction au régime de l'Apartheid. Comme une arme au poing, le photographe shoote au péril de sa vie dans le but d'éveiller les consciences. Grâce à la revue Drum l'image devient une arme de dénonciation mais aussi de combat. Ce magazine historique, où collabore noirs et blancs, est le témoin des évènements politiques et socio-culturels de l'histoire sud africaine. Les images publiées dans cette revue, sans recherche esthétique particulière, participent au cri du peuple et mobilisent l'opinion internationale sur la violence de l'Apartheid.

Depuis 2001, un service photo de presse a été créé à l'échelle du continent africain. La Panapress (agence panafricaine de la photographie) a pour vocation de répondre à la demande d'une information de presse. Cette jeune agence a pour objectif de rassembler les photographes africains exerçant sur le continent et de leur permettre de porter un autre regard sur leur actualité. L'agence dispose d'une importante base de données à destinations de magazines essentiellement occidentaux. La presse africaine consomme peu les images. Le numérique leur donne cette possibilité de traitement et de transmission des informations visuelles avec rapidité.

Les premières expériences photographiques sur le continent africain ont servi à explorer les sociétés locales. Nouveau mode d'expression, l'image offre un sentiment prégnant de réalisme. Celle-ci, en touchant tous les aspects de la vie, va permettre l'affirmation d'une identité africaine revendiquée au moment des indépendances. Le passage à une photographie d'art, plus ancrée dans une recherche artistique et esthétique, facilite la remise en cause d'une unité identitaire artistique sur le continent. La diversité des expériences artistiques, autour de l'appareil photo, oblige à une analyse sur la construction, la perception et la réception de cette notion d'identité artistique africaine.

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